Peut-on être danseur sans être souple ?

turf dancer

Et, soyons clair, il faut entendre trèès souple et, bien sûr, bon danseur.

Autant commencer par une réponse personnelle et n’engageant que l’auteure de cet article: oui.
Etant moi-même danseuse, je ne pourrais pas vanter les mérites de la raideur sans attirer des soupçons légitimes…
Pourtant, je ne définirais pas non plus la souplesse comme un élément indispensable de la boîte à outils du danseur.

contorsionniste

Généralement, lorsque le mot danse est évoqué, pléthore d’images représentant des personnes dans des positions plus acrobatiques les unes que les autres s’impose à l’esprit.
Et de fait, de nombreuses danses, impliquent, de par leur technique, l’acquisition d’une amplitude de mouvement supérieure, voire très supérieure, à celle des mouvements du quotidien.

La danse classique en tête de liste, mais aussi la danse jazz, contemporaine ou moderne, exigent souvent de leurs pratiquants une souplesse exceptionnelle.

Il faut admettre qu’un pied dans la main perdrait quelque peu de son charme si la jambe sollicitée refusait de monter au-delà de 90°, et, imaginez cette arabesque exécutée avec un dos raide comme une planche….oui, moins belle.

arabesque ballet

 

Et le grand écart…ah, le grand écart ! C’est un peu une sorte d’ICONE de la danse.

Certes, son image a été un poco éculée et ridiculisée (c’est le genre de mouvement qu’on peut faire après une danse alcoolisée de fin de soirée, pour racheter son honneur… ou mieux : le genre de réponse que l’on peut vouloir donner – après avoir déballé tous nos arguments – à un directeur de casting s’interrogeant sur notre correspondance au profil et s’apprêtant à nous nexter) …

MAIS, il est aussi souvent déclencheur de passion pour notre bel art.

Chez de nombreux gamins – moins blasés que leurs coupains adultes – il est source d’admiration et d’inspiration (pas qu’en danse d’ailleurs, moult cours de karaté se remplissent encore jusqu’aujourd’hui grâce à notre cher Jean-Claude).

C’est par lui que tout commence (le grand écart pas Jean-Claude) !

Ce fût en tous cas le cas pour moi. Je me revois enfant, respiration en suspens, langue tirée et bras en position d’aviateur, en train de tenter l’ultime figure.
L’image de Nadia Comaneci en tête, fredonnant pour me donner du courage un tube de Michael, je jouais le tout pour le tout pour réussir cette figure qui me permettrait de devenir la reine de la cour de récré et surtout …des boums anniversaires !

Et, les deux latéraux vinrent comme s’ils avaient toujours fait partie de moi, mais, le grand écart facial, lui, se présenta dès les premiers instants comme un adversaire coriace et incorruptible que rien n’attendrirait !

Adversaire, oui vous avez bien entendu, adversaire !

Et croyez-moi, pour le convaincre, je tentais toutes les méthodes:
la patience (Moi parlant à mes jambes : « Je sais qu’il vous faut du temps, je ne vais pas vous brusquer, ne vous en faites pas, nous avons la minute entière devant nous ! »)
la flagornerie (Moi, toujours parlant à mes jambes : « Comment de belles filles comme vous peuvent être aussi dures et entêtées ? Hum coriaces hein ? J’aime ça aussi ! Allez les filles un petit effort, ça ne doit pas être trop difficile pour des nanas aussi fortes que vous !… Non ? »)
la menace (Moi, toujours parlant, non pardon, HURLANT à mes jambes : « Ca suffit maintenant, je vous aurais prévenues ! Je vais chercher …l’écarteleur ! »)

Mais rien n’y faisait, ce petit mais très énervant espace entre le sol et mon postérieur squattait et résistait.

« C’est ton bassin, il est trop étroit !» m’entendais-je dire par des professeurs compatissants.
« Mais toi, tu as une souplesse du dos incroyable ! » ouyais-je de la bouche de copines bienveillantes…

Oui mais moi je voulais le GEF ! Le GE Facial ! Le Grand Ecart Facial !

Jean ClaudeVan Damme

Mon dos ? Prends le, tiens, je te le donne ! Si si tiens, je t’assure, moi ça va j’en ai assez profité : souplesse arrière, scorpion… tout ça je connais, allez prends-le ! Et toi, donne-moi ton grand écart facial, ton bassin pas « trop étroit » et tes jambes obéissantes !

J’avais fait de l’obtention du GEF ma croisade.

Jusqu’à ce qu’un ami, danseur lui aussi – et qui plus est, classique- me demande un jour: « Pourquoi ? »
Atterrée, je lui retournai un : « Comment ça pourquoi ? »
Il me précisa alors: « Pourquoi tu veux le grand écart facial, pourquoi faire ? »
Je roulai les yeux et la tête avec énergie pour lui montrer à quel point sa question était absurde, mais, un doute avait commencé à s’insinuer en moi : en avais-je vraiment besoin et si oui,
pourquoi ?

Je parcourus mentalement toutes les figures que j’étais amenée à faire, celles que j’aimais faire, celles que j’aimerais faire, celles que j’aimais regarder les autres faire… Et une conclusion à la fois jouissive et désespérante s’imposa : aucune ne nécessitait l’obtention du grand écart facial !

En tant que danseuse spécialisée dans les danses urbaines, j’aurais pu faire ce constat un peu plus tôt, en effet celle-ci comme d’autres danses (afro, dancehall, salsa, flamenco…) contiennent un grand nombre de mouvements qui ne verront pas de différence entre une souplesse des hanches à 175° et une à 180°…
Mon perfectionnisme m’avait eu, m’entraînant dans une quête fébrile, aveugle et presque dangereuse – j’avais failli échanger mon dos contre des jambes tout de même !

Bon, tout ça pour dire que la danse peut être abordée de multiples façons et cela même d’un point de vue purement physique et technique.

Alors oui, bien sûr, si vous commencez la danse et que vous êtes un peu raide de nature, n’espérez pas vous en tirer en gardant les lombaires et les ischio-jambiers d’un retraité !
Il faudra travailler la souplesse.
Mais, selon vos besoins, la danse que vous choisissez et bien sûr vos ambitions, si votre goal est d’être aussi souple qu’un serpent contorsionniste, super foncez, c’est un joli choix artistique.

Mais ce n’est pas le seul !

Contrairement à ce que l’on peut penser lorsqu’on fait une fixation sur telle ou telle aptitude à conquérir, sur des choses que l’on veut obtenir parfois essentiellement pour ce qu’elles représentent – ici en l’occurrence cette figure de souplesse suprême : le grand écart facial, allégorie parfaite (oui parfaite même si un peu éculée, cessons d’être snob deux secondes) du danseur dans sa maîtrise et sa « supériorité » physique.
Ce type d’obsessions fantasmo-perfectionnistes peuvent nous pousser, même, à certains moments, à négliger ce qui compte réellement : l’expression profonde et honnête de nos inspirations, aspirations et rêves artistiques.

De la souplesse, de la technique, du travail donc, mais surtout beaucoup de passion et d’âme, et on dansera jusqu’au bout de la nuit…au moins !

old lady flexible